Archives mensuelles : février 2017

Kamyon

© Christophe Péan

Texte et mise en scène Michael De Cock – Dans le cadre des Traversées du Monde Arabe programmées par Le Tarmac/La Scène internationale francophone.

Kamyon ouvre fort judicieusement le cycle des Traversées du Monde Arabe en sa troisième édition, conçues par Valérie Baran directrice du Tarmac et son équipe, pour « pour donner à voir le renouvellement des formes par la rencontre, l’union, le brassage et le métissage des idées et des propositions artistiques, et pour emprunter les chemins qui nous relient les uns aux autres. » Stationné sur la calme et charmante Place de la Réunion au bout du vingtième arrondissement, la longue remorque d’un trente-cinq tonnes est posée, recouverte d’une toile peinte illustrée, comme une invitation au voyage. On y voit une embarcation surchargée sur mer agitée, noyée dans des dégradés de bleu, et une inscription : « Just 2 small bags. » Seulement deux petits sacs autorisés, pour ceux qui embarquent.

Le public monte dans ce camion par un plan incliné semblable à la passerelle d’un bateau, passagers pour le moins clandestins. Une femme à la moustache, sorte de Monsieur Loyal, en fait passeur patenté répondant au nom de Moustachu, le convie à s’installer sur une douzaine de bancs, dans l’étroite embarcation. Lui reste à quai. Une petite fille est cachée, avec sa mère, fuyant son pays en guerre. Elle fait le récit de leur traversée et entrelace souvenirs de cache-cache et jouets abandonnés, inquiétude de l’inconnu, rêve de cosmos et de galaxies, espoir d’une nouvelle vie. Sa sœur a été emportée par un tir, son père les rejoindra dès qu’il le pourra, sa mère sur laquelle elle veille, dort, pour s’extraire du présent. Un accordéon joue, pour un semblant de fête.

Journaliste et écrivain, Michael De Cock travaille depuis longtemps sur le thème de la migration à travers reportages et ouvrages. Pour écrire Kamyon il a collecté la parole de familles de réfugiés – d’une famille syrienne,  notamment –  et a croisé les histoires de vie, prenant pour angle de vue l’enfance. Une petite fille raconte et dilue son chagrin dans son imaginaire d’enfant, son doudou rescapé, le seul qu’elle ait pu emmener – Just 2 small bags – objet entre deux mondes, comme une marionnette témoin et confidente. L’univers qu’elle construit est d’une grande poésie, simple en apparence, astucieux techniquement, tendre en dépit de la tension entre deux espaces temps à la vie à la mort. Quelques caisses en plastique aux couleurs vives font office de moucharabiehs et par le jeu des torches et lampes tempête projettent leurs ombres dentelés sur les murs du camion. Sur ces mêmes murs quelques images vidéo passent et la petite fille dessine, comme sur un tableau. Par deux fois les portes du camion s’ouvrent sur l’horizon, comme une terre promise. Un cheval passe. Et la réalité revient au galop avec la rue pour toile de fond. A l’autre bout du camion, un musicien – Rudi Genbrugge – est à l’écoute et accompagne la traversée avec vocal et instruments.

Créé en mai 2015 à Istanbul, Kamyon va de pays en pays depuis bientôt deux ans et se présente, traduit dans les langues locales. La langue de l’enfance ici reconstruite par Michael De Cock garde sa naïveté, elle est forte et belle et met d’autant en lumière l’absurdité de la guerre et le drame de l’exil. Jessica Fanhan tient le rôle de la petite fille avec fraîcheur et profondeur et, à partir de son histoire intime et personnelle, inscrit sur ce petit plateau la mémoire collective.

« Mon enfant ma sœur Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! » dit le poète. On est ici loin de Baudelaire, dans ce voyage avec l’enfance qui tente, pour un moment, d’apaiser la réalité de l’absence et de la destruction, la mort comme destinée.

Brigitte Rémer, le 21 février 2016

Avec Jessica Fanhan, Rudi Genbrugge – musique Rudi Genbrugge  – dramaturgie Kristin Rogghe – scénographie Stef Depover – costume Myriam Van Gucht – concept et création Michael De Cock, Mesut Arslan, Rudi Genbrugge, Deniz Polatoglu – Film d’animation Deniz Polatoglu –

Du mardi 21 au samedi 25 février 2017 :  mardi et mercredi à 10h et 14h30 – jeudi et vendredi à 14h30 et 20h – samedi à 14h et 16h – Pour tout public, à partir de huit ans – Le Tarmac/Spectacle présenté hors les murs, dans un camion installé place de la Réunion, 75020 Paris. Métro : Buzenval – Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.Letarmac.fr

 

Blasted / 4.48 Psychosis

@ visuel du spectacle

Textes Sarah Kane – Mise en scène et scénographie Christian Benedetti, au Théâtre-Studio d’Alfortville.

Ces deux pièces sont présentées séparément ou en diptyque et portent toutes deux la même violence, dans des registres différents.

Blasted, en français Anéantis, écrite en 1995 et créée au Royal Court Theatre de Londres la même année est la première des deux dans la présentation du diptyque. Elle met en scène un couple d’anciens amants dont l’âge de l’un, Ian, 45 ans, journaliste, est égal au double de l’âge de l’autre, Cate, 21 ans, qui vit chez sa mère, a un frère qui fréquente l’hôpital de jour et cherche du travail. Ian avait cessé de donner des nouvelles, ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel luxueuse, pour s’expliquer, essayer de s’aimer, s’agresser. « Ils ont dit que tu étais dangereuse. Alors j’ai arrêté. Je ne voulais pas que tu sois en danger. Mais il fallait que je t’appelle encore, ça me manquait. Maintenant je fais le boulot le vrai. Je suis un tueur. » Consommateur invétéré de gin et fumeur à outrance, ses jours sont comptés. Armé, il semble toujours sur le qui-vive et se révèle plus violent que tendre. La femme est fragile, enfantine, se met à bégayer quand elle se sent traquée et s’évanouit fréquemment. « Je suis là pour la nuit » dit-elle. Le jeu subtil consiste à déstabiliser l’autre et le rapport de force est constant, sous couvert de sexe et de sang. Provocation, agression, insultes, rapports sexuels forcés, propos racistes, enfermement physique comme moral, tout y est, et le langage est direct et cru.

L’intrusion d’un soldat dans la chambre (Yuriy Zavalnyouk, maquillé de noir) change la donne et oriente la pièce autrement. La ville est assiégée. Alors que Cate est enfermée dans la salle de bains, dans un climat de tension extrême les deux hommes se jaugent avant que l’hôtel ne soit frappé d’un mortier. Le soldat vante ses meurtres dans une surenchère de récits et sous nos yeux poursuit ses exploits en violant l’homme, avant de lui arracher les yeux et de se faire « brûler la cervelle. » Cate réapparaît, un bébé dans les bras, une femme le lui aurait déposé, dit-elle. Ses gestes sont maternels, mais privé de nourriture l’enfant meurt. Elle l’enterre avec soin, lui fabrique même une croix mais Ian avant de mourir ira jusqu’au bout de la barbarie, de la destruction et de l’autodestruction jusqu’à l’acte ultime d’anthropophagie. Dans ce huis clos étouffant, les trois acteurs portent bien leurs personnages et Marion Tremontels dans le rôle de Cate donne de la fraîcheur. La mise en scène de Christian Benedetti – qui habite aussi le rôle de Ian et transmet sa violence – suit pas à pas le texte et les didascalies de Sarah Kane. La pièce est d’une grande violence, le traitement est rude pour le spectateur qui demande grâce. Pause.

La seconde pièce du diptyque, 4.48 Psychosis n’est pas non plus de tout repos. C’est le compte à rebours avant passage à l’acte de Sarah Kane, elle, l’auteur, écorchée vive non pas le personnage. Derrière la théâtralité c’est le récit des dernières heures et ultimes minutes de la vie de cette jeune femme de vingt-huit ans qui avait décidé d’en finir – elle se suicide en 1999 -. « Regardez-moi disparaître » dit-elle. Observations et obsessions, espérances, récurrences, énonciation de mots vidés de sens, de conseils et conversations mille fois entendus. « Symptômes : ne mange pas, ne dort pas, ne parle pas, aucune pulsion sexuelle, désespérée, veut mourir. Diagnostic : chagrin pathologique. » C’est écrit comme un poème avec l’encre de son désespoir. L’actrice (Hélène Viviès) est face au public, sur un étroit praticable en pente douce. Elle porte le texte avec intensité. A peine un geste parfois esquivé, vite refermé. Rien d’autre. Tout semble vain. « Après 4h48 je ne parlerai plus. Je suis arrivée à la fin de cette effrayante de cette répugnante histoire d’une conscience internée dans une carcasse étrangère et crétinisée par l’esprit malveillant de la majorité morale. » La langue traduite de Sarah Kane et le style de ses textes enchevêtrent la vie et la mise en abyme jusqu’à la mort.

Brigitte Rémer, le 12 février 2017

Avec, dans Blasted : Christian Benedetti (Ian) – Marion Tremontels (Cate) – Yuriy Zavalnyouk (le soldat). Dans 4.48 Psychosis : Hélène Viviès – Mise en scène et scénographie Christian Benedetti – Assistante à la mise en scène Gaëlle Hermant – Lumière Dominique Fortin – Construction : Erik Denhartog et Antonio Rodriguez – Costumière et habilleuse Lucile Capuçon – Régisseur général Cyril Chardonnet.

Du 24 janvier au 25 février 2017, pièces présentées en alternance : Blasted les lundi, mercredi et vendredi, 4.48 Psychosis les mardi et jeudi – En diptyque le samedi à 19h et 22h – Théâtre Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot, Alfortville – Métro : Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort – Tél. : 01 43 76 86 56 – www.tskane.com – Les pièces de Sarh Kane sont publiées aux éditions de L’Arche. Blasted est traduit de l’anglais par Lucien Marchal, 4.48 Psychosis par Evelyne Pieiller

La culture en Palestine

© Nabil Boutros

Table ronde au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre dramatique national du Val-de-Marne, à la Manufacture des Œillets, en présence de Leila Shahid ancienne déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France et ex-ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne.

C’est une grande dame qui a été reçue à la Manufacture des Œillets pour échanger avec le public sur le thème de La Culture en Palestine. Le Théâtre National Palestinien y présente actuellement dans la grande salle, La Fabrique, Des Roses et du Jasmin pièce d’Adel Hakim, après avoir joué Antigone. Cela s’inscrit dans le cadre du partenariat développé depuis six ans entre les deux entités, le Théâtre des Quartiers d’Ivry et le Théâtre National Palestinien. Les acteurs sont dans la salle, à côté du public. Autour de la table : Elisabeth Chailloux, metteuse en scène et codirectrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim, metteur en scène des deux spectacles, Mohamed Kacimi auteur et dramaturge. Ce dernier lira à la fin de la rencontre des extraits de son Journal, écrit lors de la création à Jérusalem Est de Des Roses et du Jasmin.

Lumineuse et combative seraient les mots qui caractériseraient le mieux Leïla Shahid. Née à Beyrouth dans une éminente famille palestinienne, elle n’a eu de cesse de défendre, par la réflexion et le dialogue, la cause de son pays en construction. Diplomate hors pair, elle y a notamment travaillé à partir de 1989 à la demande de Yasser Arafat, après le début de la première intifada. Elle fut la première représentante palestinienne féminine. Elle a mené ses combats comme représentante de l’OLP depuis l’Irlande, les Pays-bas et le Danemark jusqu’en 1994, puis comme déléguée générale de l’Autorité Palestinienne en France pendant une dizaine d’années, et comme ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg à Bruxelles jusqu’en 2015, traversant espoirs et déceptions. Cette période historique parlait d’optimisme, surtout après la signature des Accords d’Oslo en 1993 par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin sous l’égide de Bill Clinton, grâce au travail mené par le ministre des Affaires Etrangères Israélien Shimon Peres, Prix Nobel de la Paix.

En introduction Leïla Shahid évoque le livre de sa mère, Sirine Husseini Shahid, Souvenir de Jérusalem, portrait de sa famille, palestinienne, installée à Jérusalem depuis plusieurs siècles et contrainte en 1936 de prendre la route de l’exil. Puis elle propose un parcours qui prend pour repères le théâtre et la littérature, formes de résistance à l’obscurantisme, avant de donner ses positions dans le conflit israélo-palestinien. Très proche de Mahmoud Darwich et de Jean Genet, elle parlera longuement de l’un et de l’autre. Donnant lecture de quelques passages, elle reconnait qu’en leur absence, l’écriture est la seule chose qui reste, que leur parole, sous quelque forme qu’elle fut – pièces, poèmes, romans ou autres – aide à vivre. Elle annonce la création d’une chaire Mahmoud Darwich à Bruxelles, la première dans le monde francophone qui a pour objectif la traduction, l’édition, la mise en scène à partir de l’œuvre du poète qui a mis en mots son exil intérieur, et à partir de la poésie arabe. Elle donne lecture d’un extrait du dernier recueil publié avant sa mort, La Trace du papillon, intitulé Si nous le voulons, traduit, comme toute l’œuvre, par Elias Sanbar : « Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres. Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d’actions de grâce à la patrie sacrée chaque fois que le pauvre aura trouvé de quoi dîner. Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan, sans être jugés (…) Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur. »

Leïla Shahid parle ensuite de Jean Genet qui l’avait accompagnée à Beyrouth en septembre 1982 au moment où, le 16 septembre, eurent lieu les massacres de Sabra et Chatila. Entré dans les camps quelques jours après, il écrira Quatre heures à Chatila où il mêle le souvenir des six mois passés dans les camps palestiniens avec les feddayin dix ans avant : « Israël s’était engagé devant le représentant américain, Habib, à ne pas mettre les pieds à Beyrouth-Ouest et surtout à respecter les populations civiles des camps palestiniens. Arafat a encore la lettre par laquelle Reagan lui fait la même promesse. Habib aurait promis à Arafat la libération de neuf mille prisonniers en Israël. Jeudi les massacres de Chatila et Sabra commencent… » Alain Milianti avait présenté un spectacle à partir de ce récit, au Volcan maison de la culture du Havre, en 1991 ainsi qu’à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Dans Le Captif amoureux, Genet écrit aussi un étrange journal de bord de ses années passées au Moyen-Orient parmi les Palestiniens : « Avant d’y arriver, je savais que ma présence au bord du Jourdain, sur les bases palestiniennes, ne serait jamais clairement dite : j’avais accueilli cette révolte de la même façon qu’un oreille musicienne reconnaît la note juste. Souvent hors de la tente, je dormais sous les arbres, et je regardais la Voie lactée très proche derrière les branches. En se déplaçant la nuit, sur l’herbe et sur les feuilles, les sentinelles en armes ne faisaient aucun bruit. Leurs silhouettes voulaient se confondre avec les troncs d’arbres. Elles écoutaient. Ils, elles, les sentinelles… »

Lorsqu’elle aborde le conflit israélo-palestinien Leïla Shahid définit le fait que chacun est inscrit dans une généalogie et que cela n’empêche pas de construire son destin. Elle prend à témoin les acteurs dans la salle, eux qui n’ont connu que l’occupation, parle de ce qui fait mal, et reconnaît que les plus grandes blessures dépendent de là où l’on se place. Pour les Palestiniens, Jérusalem est de fait une ville occupée, annexée, où les lois israéliennes s’appliquent et où ils ne sont que résidents dans leur propre ville. Elle qualifie ce conflit de tragédie grecque mettant face à face deux frères jumeaux qui s’autodétruisent et parle de nettoyage ethnique pour définir la Nakba, ce moment de 1948 où les populations palestiniennes furent contraintes à l’exil alors que la coexistence était réelle entre juifs, chrétiens et musulmans. Puis la discussion a posé la question de l’altérité. On se définit soi-même par l’altérité dit-elle. Et l’un des acteurs précise : « Celui qui vit l’occupation ne parvient pas à voir l’humanité du citoyen Israélien qui lui, en un clin d’œil, peut  se transformer en soldat de l’armée d’occupation. Je n’ai pas la possibilité de voir l’Israélien, comme un Autre. »

Leïla Shahid met encore le projecteur sur la disparition du mot Palestinien dans la presse internationale, souvent remplacé par le concept de réfugiés arabes et le regrette vivement, constatant la banalisation du conflit par une utilisation de l’image à outrance, qui déforme jusqu’à en perdre le sens. Pour elle, l’Europe a sa part de responsabilité et ne s’intéresse qu’au bas calcul de ce qui rapporte le plus, dans un jeu mesquin avec Israël et ajoute que certains ne vivent que sur l’enrichissement de la haine. Elle qui a travaillé au sein des organisations intergouvernementales parle sans détour d’une surprenante impunité et de la non application du droit, alors que les résolutions côté Europe, les recommandations côté ONU sont bien actées et qu’elles ne servent donc à rien puisqu’il n’y a aucune sanction. Elle dit que l’idée des deux Etats vivant côte à côte s’est éloignée, et que le temps ne joue pas en faveur de la coexistence.

A la table, une question d’Adel Hakim à l’attention de Leïla Shahid sur le mécanisme des sanctions économique, diplomatique, militaire à partir de l’exemple de Cuba et Fidel Castro ou de Poutine et l’expansion russe en Crimée, et lui demande de s’exprimer sur les BDS portés par la société civile – Boycott, Désinvestissement et Sanctions, une campagne internationale lancée par près de deux cents ONG palestiniennes sur le modèle de l’apartheid d’Afrique du Sud, appelant à exercer des pressions économiques, académiques, culturelles et politiques sur Israël. La mise en œuvre des BDS vise trois objectifs : la fin de l’occupation et de la colonisation des terres arabes, l’égalité complète pour les citoyens arabo-palestiniens d’Israël, et le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens. La réponse de Leïla Shahid ne se fait pas attendre : « Aucun despote n’écoute les recommandations de l’ONU. Fidel a fait d’énormes dégâts et a détruit Cuba, Jérusalem est annexée depuis 1982 et il n’y a pas de sanctions. En Irak des milliers d’enfants sont morts. L’hypocrisie et la lâcheté sont générales, c’est une supercherie.» Et elle évoque la dynamique de la société civile palestinienne.

Mohamed Kacimi pose à son tour une question sur la position de l’intelligentsia en Israël qui compte des observateurs et penseurs avisés, et ne peut comprendre que leur lucidité n’ait pas de prise sur la société. Leïla Shahid parle des « vingt millions de Juifs dans le monde contre six seulement en Israël. Israël ne représente pas tous les Juifs. » Elle parle de ghetto tout autant physique que mental « C’est une tragédie philosophique » ajoute-t-elle tout en rappelant qu’Israël est la septième puissance industrielle et la quatrième puissance militaire.

Le débat se recentre ensuite sur le spectacle, Des Roses et du Jasmin, Mohamed Kacimi, dramaturge auprès d’Adel Hakim lit quelques extraits de son carnet de bord des répétition, écrit à Jérusalem Est. Il parle de l’extrême difficulté de créer. « Mercredi 11 février 2015 – Il fait un froid de canard à Jérusalem. Nous travaillons depuis une semaine dans une petite salle, encombrée de gradins bleus couverts de poussière et de manuscrits. La lumière est faible, le chauffage en panne, et le sol jonché de mégots et de gobelets écrasés. Autour de la table huit comédiens fument à tombeau ouvert. Ils lisent la dernière pièce d’Adel Hakim : Des Roses et du jasmin… »

Leïla Shahid a vu le spectacle quelques jours auparavant et rapporte : « Il arrache la Palestine à son quotidien et redonne espoir, en dépit de tous les murs et barbelés. » Pour elle, le théâtre est au cœur du politique, c’est l’oxygène d’une nation, et le discours poétique est le seul qui s’impose par lui-même. Elle traduit aussi son plaisir d’être là, inaugurant le Lanterneau, la seconde salle de la Manufacture des Œillets qui en cette après-midi laisse passer par sa belle verrière, la clarté. Elle a posé sur la table deux magnifiques bouquets blancs, des roses et du jasmin.

Brigitte Rémer, le 30 janvier 2017

Samedi 28 janvier 2017 à 16h, Théâtre des Quartiers d’Ivry/Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat – 94200 Ivry-sur-Seine – Métro : Mairie d’Ivry – www.theatre-quartiers-ivry.com – Tél. : 01 43 90 11 11. Le Journal de Mohamed Kacimi est publié sur le site du Théâtre des Quartiers d’Ivry – Le texte d’Adel Hakim, Des Roses et du Jasmin est publié à L’Avant-Scène.